Les travailleuses du sexe en Belgique peuvent, depuis décembre, accéder à des protections juridiques et à des droits du travail

Anvers (Belgique) (AFP) - Un commissariat de police du quartier historique des marins du port belge d'Anvers est entouré de vitrines rouges éclairées au néon par des travailleuses du sexe.

La station située dans le complexe de Villa Tinto est un symbole de la volonté de rendre le travail du sexe plus sûr en Belgique, pays qui possède certaines des lois les plus libérales d'Europe, même si les abus et l'exploitation sont encore largement répandus.

Depuis décembre, les travailleuses du sexe belges bénéficient de protections juridiques et de droits du travail, comme les congés payés, comme toute autre profession. Elles saluent ces changements.

"Je ne suis pas une victime, j'ai choisi de travailler ici et j'aime ce que je fais", explique Kiana, 32 ans, en laissant l'AFP apercevoir derrière sa fenêtre son espace de travail : un lit double baigné d'une faible lumière rouge, avec divers types de chaînes et autres accessoires sado-masochistes.

Kiana, qui a souhaité garder l'anonymat, a quitté sa Roumanie natale à 18 ans et a d'abord travaillé en Allemagne avant d'arriver en Belgique. Elle loue l'une des 51 vitrines de la Villa Tinto, où elle travaille cinq jours par semaine.

« Ma mère sait ce que je fais. Pour les autres membres de ma famille, je fais des manucures et des tatouages ​​», a-t-elle déclaré.

Pour « Mel », travailleuse du sexe et star sur TikTok où elle répond à des questions sur son travail, la loi lui a permis de sortir de l'ombre.

« J’en avais juste assez de mentir sur ce que je faisais dans la vie et de prétendre être coiffeuse ou masseuse », a-t-elle déclaré.

La Belgique a décidé en 2022 de réformer sa législation sur le travail du sexe, notamment en assouplissant les règles sur la publicité pour la prostitution pour les personnes de plus de 18 ans.

« Nous, les travailleuses du sexe, étions considérées par l'État comme un véritable métier, et l'opinion des gens a également changé » grâce à la loi, explique Meliciousss, une Anversoise.

- S'éloigner de la honte -

Aujourd’hui, la loi stipule qu’un adulte peut faire la publicité de ses propres « services sexuels » s’il le fait dans un endroit désigné, par exemple derrière une fenêtre.

Les tiers, tels que les banquiers, les concepteurs de sites Web ou les propriétaires fonciers, ne risquent plus non plus d’être poursuivis pour leur implication dans l’industrie du travail du sexe.

Mais le proxénétisme est toujours illégal, tout comme la prostitution infantile.

On estime qu'il y a entre 9 000 et 26 000 travailleuses du sexe en Belgique

Qualifiée d'« historique » par la Ligue belge des droits de l'homme, cette loi place la Belgique dans le camp des pays qui veulent régulariser le travail du sexe, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, contre ceux qui ne le veulent pas, dont la France et la Suède.

« Même si la stigmatisation existe toujours, d'une certaine manière, nous nous sommes éloignés de la honte », a déclaré Marianne Chargois, travailleuse du sexe et militante à Utsopi, une association de défense des droits des travailleuses du sexe.

Selon Utsopi, on estime qu'il y aurait entre 9 000 et 26 000 travailleurs du sexe en Belgique, dont 90 % sont des femmes. Il n'existe pas de chiffres officiels.

Malgré les réformes, plusieurs organisations, notamment celles qui luttent contre la traite des êtres humains, mettent en garde contre l’aspect largement « invisible » de la prostitution et le fait que la plupart des femmes exercent cette activité sous la contrainte financière.

Beaucoup sont contraintes de se prostituer à cause de la dépendance ou des trafiquants, avertissent les groupes.

Les dangers persistent.

En mars, la police a démantelé un réseau criminel soupçonné d'exploiter sexuellement une trentaine de Chinoises. Sept suspects chinois ont été arrêtés.

- «Libre et indépendant» -

De nombreuses femmes sont envoyées en Belgique sans permis de séjour pour travailler au noir et sont victimes de chantage, selon Charles-Eric Clesse, juriste belge.

« Pour les prostituées d'origine africaine, dans plus de 90% des cas, il s'agit de trafic d'êtres humains », a-t-il déclaré à l'AFP.

Le débat public est relancé depuis l’entrée en vigueur en décembre de la loi autorisant les travailleuses du sexe à signer des contrats de travail avec un employeur « agréé ».

Il offre davantage de droits du travail, comme l’assurance maladie, que le statut plus populaire de travailleur indépendant.

Mais les réformes n’ont pas encore apporté beaucoup de changement.

Le ministère du Travail n'a reçu que trois demandes de contrats de travail, a indiqué un porte-parole. Ces demandes sont actuellement examinées par les tribunaux, qui doivent vérifier les CV et les éventuels casiers judiciaires des employeurs.

Dans le camp pro-abolition, l'association Isala a appelé à l'abrogation de la loi, l'accusant d'encourager le proxénétisme.

Elle a déclaré que la loi donnerait aux propriétaires de maisons closes davantage de pouvoirs pour forcer les femmes à se retrouver dans des situations dangereuses.

La loi a été contestée et sera débattue par la Cour constitutionnelle.

Le propriétaire de la Villa Tinto exclut tout contrat de travail.

« Les travailleuses du sexe qui travaillent ici sont très libres et indépendantes. Elles travaillent quand elles le souhaitent. Elles choisissent elles-mêmes leurs clients. Elles prennent leurs vacances quand elles le souhaitent », a déclaré Karin Vander Elst.

« Si nous leur donnons un contrat, il sera très difficile de le maintenir ou de satisfaire tout le monde. »